100.

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« À son plus haut degré d’excellence, la poésie saisit parfois ces instants
où les plateaux de la balance s’équilibrent, où sur le fil de l’épée comme
à la pointe de la rame les contraires se concilient.  Elle le reproduit avec
une tonalité incomparable, celle d’une très ancienne
sagesse à l’intérieur
de laquelle s’épanche et jaillit la jubilation enfantine.

Le sentiment de la peur y manifeste sa présence, celui de la certitude aussi,
et  l’interrogation et  la mémoire  dialoguent ensemble, tandis que le vif,
au centre de ses trois âges, peut s’entretenir en paix avec les morts. Il est
devenu semblable à Janus aux deux visages, ou encore, comme certains
arachnides, il se trouve doté de multiples yeux qui lui révèlent simultanément
tous les aspects de la route.»

Cristina Campo, Les Impardonnables

Janus

93.

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Repousse l’heure de ton réveil,
nous te le demandons :
les lieux sont déserts et nous ne voyons rien
hormis cette haie au milieu d’un pré.
La brise du matin se berce entre les branches.
Une haie sauvage, obscure et vide.

Cristina Campo, Les Impardonnables.

Très nobles hiérarques ~ Cristina Campo

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Très nobles hiérarques,
merci pour le silence,
l’abstention, la sainte
gnose de la distance,
le jeûne des yeux, le veto des voiles,
la noire cordelette qui noue aux cieux
de cent cinquante fois sept nœuds de soie
chaque tremblement du pouls,
l’auguste règle de l’amour introublé,
la danse divine de la réserve :
impérial incendie qui embrase,
comme en Théophane le Grec et André le Diacre,
de mille Thabor l’or de vos coupoles,
ouvre les yeux du cœur sur les glacis d’azur,
et revêt de sang les donjons…

Que la proximité éteint
comme une pluie de cendres.

Cristina Campo, extrait de Le Tigre Absence, Arfuyen, 1996
Trad. Monique Baccelli

Nobilissimi ierei,
grazie per il silenzio,
l’astenzione, la santa
gnosi della distanza,
il digiuno degli occhi, il veto dei veli,
la nera cordicella che annoda ai cieli
con centocinquanta volte sette nodi di seta
ogni tremito del polso,
l’augusto cànone dell’amore incommosso,
la danza divina del riserbo :
incendio imperiale che accende
come in Teofane il Greco e in Andrea Diacono,
di mille Tabor l’oro delle vostre cupole,
apre occhi del cuore negli azzurrissimi spalti,
riveste i torrioni di Sangue…

Che prossimità spegne
come pioggia di cenere.

Crisitina Campo, tratto da La Tigre Assenza, Biblioteca Adelphi, 1991