
Voyage intérieur, Annabelle Delaigue
.
I, 27 —
Parmi des débris de paroles
et des caresses en ruine,
j’ai trouvé quelques formes qui revenaient de la mort.
Elles venaient de démourir,
mais ne pouvaient s’en tenir là.
Elles devaient régresser encore,
elles devaient tout dévivre
et après dénaître.
Je ne pus leur poser de question,
ni les regarder deux fois.
Mais elles m’indiquèrent l’unique chemin
qui ait issue peut-être,
celle qui, remontant de la mort,
à rebours de la naissance,
vient retrouver le néant du départ
pour reculer encore et se dénéanter.

I, 59 —
L’homme épelle sa fatigue.
Épelle et soudain
découvre d’étranges majuscules,
inespérément seules,
inespérément hautes.
Qui pèsent plus sur la langue.
Pèsent plus mais échappent
plus vite et c’est à peine
s’il peut les prononcer.
Son cœur se rassemble sur les chemins
où la mort éclate.
Et il découvre, tandis qu’il continue d’épeler,
de plus en plus d’étranges majuscules.
Et une grande peur l’étreint :
se trouver devant un mot
écrit seulement de majuscules
et ne pouvoir alors le prononcer.
Roberto Juarroz, Poésie verticale I – Fayard, coll. Poésie Points, 2006
Trad. Roger Munier
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