Pierre-Albert Jourdan

© Brandon Kidwell

© Brandon Kidwell

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Il y a sans doute pour chacun de nous un cœur lointain qui aspire et refoule sans cesse un paysage élu ; que le sang longe et appelle désespérément ; une odeur de fumeur dans les heures débroussaillées d’avant-printemps comme un secret d’enfance perdu et familier. Ainsi l’attente se dilate au point d’être, à l’inverse d’une économie, une brassée d’instants, de fleurs continuelles. Là est le chemin qui bifurque, vivifiant. L’homme qui est en passe de perdre ses forêts, son sommeil, le furtif cliquetis d’armes, luisantes par éclairs comme un fleuve lointain, ne le surprend pas, il s’échappe. Il y a un maquis du bonheur désormais. Aussi bien, à l’intérieur de cette menace — les armes inutiles — ce sont des vergers qui tendent vers le ciel de fines épées teintées de sang, une tout autre bataille où l’homme dépossédé tente une dernière, une dérisoire alliance.

 

Pierre-Albert Jourdan, extrait de La marche (Premier volet)
Le Bonjour et l’Adieu
, Mercure de France, 1991

98.

Photo © David Hannah

Photo © David Hannah

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« Ne vous y trompez pas : à chaque instant nous jouons notre vie. Sans les automatismes et les bandeaux, la vague d’effroi nous engloutirait peut-être.

[…]

Les fous sillonnent désormais la terre entière. Elle doit frissonner de peur et de dégoût. Nous étions abandonnés, nous sommes maintenant à deux doigts d’être happés par ce courant glacé où flottent ces cervelles pourries.»

Pierre-Albert Jourdan, in Les Sandales de Paille

87.

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Incartade. Tu peux rêver sur ce mot comme s’il t’aidait à te défaire de ce fardeau
des acceptations répétées creusant un espace sans saveur. Tu peux rêver ce brusque saut s’il approche de cette vérité enfouie dans les herbes, dans les ronces. Si bien distante qu’elle ne rôde plus qu’aux confins.

Pierre-Albert Jourdan, Ombelles  in L’espace de la perte

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