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« Nous buvons les spectres des causes dans des coupes pestilentielles, effilées, nous touchons, avec des crochets, des grandeurs petites comme une mort facile. Et quand s’accrochent les figurines des jonchets, l’enfant regarde en se taisant. Un univers immense sommeille dans le berceau au pied d’une petite éternité.»

Ossip Mandelstam, Huitains (VIII)

Un instant appuyé contre le vent ~ Lionel Jung-Allégret

Source

Source

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Sur la route où je marche, jamais on ne sait quand vient
la corde de l’aube. Des insectes noirs palpent l’air qu’on
respire. La nuit entoure d’autres nuits.

Je  vois leurs ailes transparentes
et  la pureté  terrifiante d’un pays de cendres qui brûle.

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Je regarde le jour lent vers l’horizon se poser comme une
paroi immobile rendue à la terre.

Des fourmis suffocantes entrer dans l’ombre des miroirs.

La pensée étendue sur l’herbe couchée.

À  l’heure  inhabitée, qui viendra dans le trouble du soir
parler la langue   funèbre ?

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Une fenêtre de nuit s’ouvre.  Je suis seul à veiller.  Des ailes
de papillons crépitent sur les lampes. Le corps de la maison
a enfermé ses rêves.

Il fait froid devant la lumière.  Des cris étouffés passent  de
chambres en  chambres.  Personne  ne  revient  d’entre  les
murs.

Je regarde un nourrisson comme la pureté qui dort sous
ses yeux d’argent.

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LJA_Un instant appuyé contre le ventLionel Jung-Allégret, extrait d’Un instant appuyé contre le vent,
Encres de Jean Anguera
Al Manar Éditions Alain Gorius, 2014

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Note de lecture d’Angèle Paoli sur Terres de Femmes
► Extraits de précédents recueils Ici & Ici.

Chevaux ~ Jean-Jacques Marimbert

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Depuis Au jour, la nuit,
avec l’aimable autorisation de l’auteur

 

Chevaux
 
Ruelles et façades
ne sont plus qu’ombres
tachées de sang
pas égarés creusent
une terre poussiéreuse
deux trois chiens flairent
çà et là des lambeaux
de présences effacées
il marche
en un ciel de fumées
que le vent mêle
aux fins nuages de glace
il marche
les lumières du soir
dessinent au sol des flaques
de clarté froissée ridée
reflets de fenêtres
il avance franchit
des seuils inconnus
pénètre dans des cours
aux pavés luisants ressort
descend vers le fleuve
les chemins se perdent
l’eau calme et lourde charrie
les troncs morts les pensées
jette à la mer les vies obscures
toutes ces vies croisées frôlées
sur les boulevards
sur le chemin de halage
il sent le souffle puissant
des chevaux de jadis
dans ses épaules la brûlure
des sangles de cuir
il entend gémir
le bois des péniches
il suit la berge
quitte la ville et
rejoint les chevaux
dans la nuit
des prairies oubliées.
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21 janvier 2014
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Ciel passager ~ Cécile A Holdban

Photo © Doctor Rober

Photo © Doctor Rober

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Ce qu’il faudrait, c’est
courir au vent à en pleurer
après le goût du sang
dans la bouche
émouvoir l’immuable,
estomper l’angle aigu de nos villes sabres
devenir alors
murmure du conteur

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Pluie II

mimant le couperet
serrée dans sa course
la langueur n’est certaine
que pour l’autre saison

le lit gelé où cesse mon sang
a le prix d’un printemps

Cécile A Holban, Ciel passager, L’Échappée Belle Édition, 2012

89.

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« Les choses n’ont en soi que peu d’importance, et même – remercions pour une fois la métaphysique de nous avoir enseigné quelque chose -, elles n’ont pas d’existence réelle. Seul l’esprit a de l’importance. Le châtiment peut être infligé de telle façon que, loin d’infliger une blessure, il apporte la guérison, de même que l’aumône peut être donnée d’une manière telle que le pain se métamorphose en pierre dans la main de celui qui donne.»

O. Wilde, De profundis
[trad. Pascal Aquien]