La chambre à feu
Au bord du livre que j’écris tourne le ciel et ses montagnes. Une chose plus essentielle que la vie est le matin du monde en fleurs à travers nous. La hauteur bleue nous habite et nous dédaigne non remaniée depuis les âges nous qui changeons. Voici l’automne de nouveau qui toujours se ressemble. Et lorsque l’âme à la fin s’émerveille un cri plus pur de rouge-gorge enfile nos sombres haies de buis jusqu’au silence. Écrire ici pour moi n’est plus ouvrage de lumière. Ailleurs m’interpelle des morts à la dérive qui n’ont d’encre ni papier ni plume en leur barque si noire. Et puis quelques vivants de même démunis parmi l’enclos des monts branchus. Mais l’aube me retrouve à pic entre les deux lucarnes de l’espace où je balconne et ne me laissera jamais semblable. Une heure ou deux le grand parti des rossignols a pris ma chambre à feu pour un pin de ténèbres. Ils sont mots violents que la nuit range mal et dérange. Ainsi les mains levées plus fréquentes et tremblantes. Ainsi le cœur tardif. J’y gagne une rigueur.
Aux soirées lisses et dévidé le fil ténu des jours cette allégresse m’a recommencé. Mise en doute la fatigue un ruisselant sommeil m’élève au profond visage des nues. J’ai pour témoin ma vieille lampe avoir à sa lueur défouie les menées blanches d’un pays d’érables. Et l’éternel glissement d’astres en route pour l’hiver. Ô douce lune es-tu venue quand je me suis tourné vers la muraille ? À minuit les roses de Novembre ont quitté mon jardin pour le ciel. Une à une entre les pages de livres lus et refermés les montagnes s’enneigent et s’effacent. Au monde limpide entier ma fenêtre ouverte demain secouera sa charge de bois obscurs.
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L’heure est dite d’abois
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L’heure est dite d’abois dans les arrière-cours
Et de guenilles en sanglots sur les cordes du jour
Par le travers des lampes nues dans l’ombre noire
Ô reflet malingre d’un vieil été mémoire
D’un soleil en cendres sous les mains dans la nuit
Passé l’orgue de Barbarie où le temps bruit
Le malaise d’un chien la valise d’une âme
Emplie d’herbe lointaine et de cheveux de femme
Accoudé sur la table le ciel venu m’aider
À compter recompter feuilles mortes accoudé
Sur la table tremblante au fond d’auberges vides
Avec autour de moi pas mal de chopes vides
Et bien devines-tu j’en ai fini de mon espoir
À jamais je suis seul dans mon amour ce soir
Dans l’aube de la vie les montagnes de lumière
Aspiré par des tourmentes d’étoiles très claires
Au-dessus d’une transparence ornée de vergers bleus
Éclaboussant d’oiseaux qui sont comme tes yeux
Jusqu’à la cime la plus blanche le fol érable
Et ne viens pas me joindre au bord de cette table
Je n’y suis plus je suis parmi les neiges du futur
Pourtant je t’y attends tête tombée fruit mûr
Dans le bois mort de cette table où d’humides années
J’entends la pluie rouler ses renoncules piétinées.
Jean-Philippe Salabreuil, poèmes extraits de Juste retour d’abîme, nrf Gallimard, 1965
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