Mais la source… ~ E. Guillevic

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à Marcel Arland

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Mais la source
nous avons rêvé
de la supporter,

d’y plonger les mains
pour le pur plaisir,

sachant qu’elle aussi
n’est pas l’ouverture
qui dirait des mots.

*

Souviens-toi, tous les ciels
étaient marqués de haine.

Nous n’avions pas l’idée
d’aller nous y asseoir
pour nous tenir les mains

et moins encore l’idée
de nous mettre à genoux
devant eux et leur dire
ce qu’était notre peine.

Toujours ils étaient vagues
avec leurs cumulus

et puis l’écran pour des figures
irrecevables.

*

Ce n’est pas nous qui avons lancé
la barque dans le ciel où elle éclatera,
si fort elle pointe et monte.

Nous n’avons rien voulu
de ce demi-liquide
où tout se perd.

Qu’elle aille, qu’elle éclate
et se fasse rayon de lune à l’été proche
pour quelque lac.

Ou bien si par hasard elle revient un jour,
nous n’irons pas vers elle
pour quérir sa réponse.

*

À genoux sous le vent
qui fait sa confidence
au gouffre dans le ciel.

À genoux pour qu’il passe et nous voyant soumis
n’en cherche pas plus long.

Qu’il n’aille pas hurler
au fond du bois, à la vallée,

qu’ils nous a vus dressés pour livrer la bataille
aux monstres protégés

qui se font dans l’humide
et qui voudront venir
nous fermer les sentiers.

*

Et celui qui criait
dans la sphère d’absence,

qui voulait que ce fût à ses mains d’étrangler,
sur l’azur vertical,

les fleurs géantes et bleues
qui tombaient du soleil.

*

Avec les fontaines au fin fond des terres
nous avons été.

Avec les fontaines sous le poids des algues
nous avons été.

— C’était contre l’air
et probablement
pour ne plus parler.

Eugène Guillevic, Élégies (extrait), in Exécutoire, Gallimard, 1947

Petite gare inconnue du printemps ~ Maurice Chappaz

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Ai-je laissé passer la terre promise ?

Les voyageurs sont nus et ivres
et las
et ils ont le mal du pays.
Les champs ressemblent à des visages soucieux.
L’aube écrit vite
avec un bâtonnet d’ombre.
Un verdier s’enfuit.
Derrière les barreaux de ma vigne j’écoute le printemps.
La pioche retient son souffle : les bourgeons
sont fragiles comme du verre.

Je desserre les lèvres de la montagne.
Je suis aux prises avec la première coupe de parfums
ceux qui ont rongé la neige,
les parfums porcs.
Ce goût de pomme sure,
cette odeur de bois pourri, d’humus et de vent,
l’odeur du ventre d’une mère
et d’une feuille d’arbre en voyage.
Les collines sont giclées dans les trayons,
les mousses se délivrent.
Par millions les fleurs, les graines,
les bestioles infimes,
la cohue des larves d’insectes
traversent leurs pertuis obscurs
comme s’ils pérégrinaient tous
par les vaisseaux de mon corps.

Maurice Chappaz,  Tendres campagnes
in Cent poèmes pour ailleurs, Anthologie établie par Claude-Michel Cluny,
Orphée La Différence, 1991

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Maurice Chappaz sur Viceversa, sous l’œil de Jean-Louis Kuffer

38.

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—  « J’ai une idée.
—  Asseyez-vous dessus, répondit le professeur sans interrompre son monologue.
—  Une idée extraordinaire, télégraphia Syme.
—  Une extraordinaire blague.
—  Je suis un poète, protesta Syme.
— Vous êtes un homme mort, répliqua l’autre.»

 Gilbert Keith Chesterton, Le nommé Jeudi, L’Imaginaire/Gallimard, 2009.

Détour chez Blanchot, par Marc Villemain

Depuis le site de l’écrivain Marc Villemain, regards sur la critique.

 

BlanchotSi j’avais eu un doute encore quant au bien-fondé de ma résolution de mettre un terme à mon activité de critique, la lecture des Chroniques littéraires que Maurice Blanchot donna au Journal des Débats entre avril 1941 et août 1944 me l’aura donc totalement ôté – et après tout, peut-être ne l’ai-je lu que pour y trouver cette confirmation, je ne sais. Dans le contexte d’un domaine critique devenu assez fuyant (contrecoup sans doute assez mécanique de l’individualisation enthousiaste des subjectivités et de l’effet de dissémination qu’Internet charrie), et d’ailleurs à ce point fuyant qu’il ne trouve parfois plus pour se justifier dans son être et ses prérogatives que le seul critère de laprescriptibilité, l’exercice aura donc fini par venir à bout de mon désir initial de mieux comprendre mes propres lectures en écrivant à leur propos. Au fil du temps, j’ai fini par m’apercevoir que je finissais toujours par tirer mes critiques vers là où je ne voulais pas forcément qu’elles aillent, c’est-à-dire vers moi-même ; je finissais, pour le dire d’un mot, par tourner en rond : quel que soit le livre dont j’entreprenais la critique, le résultat ne faisait plus que me refléter, alors que je ne désirais rien tant que sortir de moi pour mieux entrer dans les mots des autres. Je me satisfais donc dorénavant de quelques recensions qui n’ont d’autre motif, en plus que de donner un éventuel et très modeste écho à tel ou tel ouvrage, que celui de conserver une trace de ce qui a pu m’intéresser ou me toucher.

C’est en quoi aussi ce recueil est venu me conforter. […] >> La suite ICI.