Élégie pour un ami ~ Guy Goffette

Photo © Abraham Ramos

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I

Quand la vie était forte et que nous marchions
comme en rêve, glissant du métro à l’enfer
de Dante sans changer de visage ni
d’allure ; quand l’amour

comme une torche nous portait de cheveux
en chevelures, dispersant un feu de promesses
que le vent réduirait vite en cendres ; quand
la nuit restait blanche et

nous tournait contre le mur, déplaçant
de quart en quart sous nos paupières le reflet
de la lune, elle était là déjà dansante
et forte et blanche, cette ombre

qui brûle toutes les ombres et nous attend.
.

II

Toujours, encore, demain, ces mots de peu,
de rien, jetés en passant, nous débordent.
Ils amassent dans les marges de nos vies
un sable lisse et sans

vertige, auquel nul ne prête attention
jusqu’à ce que le cœur soudain batte
de l’aile et commence à compter ses pas,
parce que tout est dit,

tout, il n’y a plus qu’à tirer la porte.
Mais elle résiste soudain et grince comme
la mémoire devant une montagne d’oublis :
ce tas de sable, ce

silence qui prend toute la place et qui crie.
.

III

Peut-être fallait-il cette pluie abrupte
sur les roses mourantes et sur les toits d’été
pour remettre le ciel gris de niveau
avec les yeux du rêveur

et ramener du fond lentement la figure
de l’absent à sa fenêtre du troisième,
rue Poliveau, quand les généreux platanes
avaient encore de quoi rendre

son salut au poète, et du souffle, des
couleurs à sa chambre, allégeant la poigne
de vivre et la double question du même
dans le miroir à cru : qui

suis-je, qui ? et ma vie où es-tu ?

[…]

Guy Goffette, Élégie pour un ami [Tombeau du Capricorne]
Un manteau de fortune, suivi de L’adieu aux lisières et de Tombeau
du Capricorne
Poésie/Gallimard, 2014

98.

Photo © David Hannah

Photo © David Hannah

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« Ne vous y trompez pas : à chaque instant nous jouons notre vie. Sans les automatismes et les bandeaux, la vague d’effroi nous engloutirait peut-être.

[…]

Les fous sillonnent désormais la terre entière. Elle doit frissonner de peur et de dégoût. Nous étions abandonnés, nous sommes maintenant à deux doigts d’être happés par ce courant glacé où flottent ces cervelles pourries.»

Pierre-Albert Jourdan, in Les Sandales de Paille