Quand les droits sont foulés aux pieds qu’importe qu’un voile légal apparaisse sur la tête des oppresseurs si les folies accumulées au cœur de chacun ne s’écrivent pas, se vident de sens et meurent anonymes ? Si une phrase ne laisse pas resurgir le spectre de cette uniformité immobile elle n’est qu’une plaque photosensible, elle est inutile, elle ne révèle rien.
Écrire, non ce n’est pas une vaine échappatoire, il pense à des souvenirs qui le sauvent comme s’il apercevait le présent trop tard. Mais toute cette histoire n’est-elle pas tacitement une absence d’accord avec lui-même, mots vastes, vie sauve , ce que sont des mots, rien que des mots.
Des sentiments, écrire leur épaisseur, là-haut dans la vallée retrouver le silence. La seule autorité qu’il reconnaisse c’est une autorité presque ensevelie à l’intérieur des mots. Comme si dans les vraies phrases il n’y avait aucune place pour le sens, elles planent. On ne surajoute pas plus qu’on ne retranche. Douleur doucement coupable, palpable, pauvre pierre d’astre d’un million d’âmes suspendues à la commissure de lèvres qui répandent l’écho brisé d’un infini seul.
Chaque mot renforce la fêlure d’une chose muette, chaque mot revit le mal et la beauté conformes […]
Patrick Laupin, extrait de L’Homme imprononçable, suivi de Phrase et Le Mystère de la création en chacun [La rumeur libre, 2018]