Frivolités de la reine

D’amourettes en frivolités
Avec quelles facilités
La langue gourmande accommode
Un bien cruel épisode
Lequel, par singulière issue
Se couronne d’espoirs déçus
Pourtant, ni fiel ni épine
Ni même penchants malheureux
Seuls badinages de cuisine
Et banale histoire de queux !

Là-bas ~ J.-K. Huysmans

Matthias Grünewald, Crucifixion

« Avec une extraordinaire lucidité, il revoyait ce tableau, là, devant lui, maintenant qu’il l’évoquait ; et ce cri d’admiration qu’il avait poussé, en entrant dans la petite salle du musée de Cassel, il le hurlait mentalement encore, alors que, dans sa chambre, le Christ se dressait, formidable, sur sa croix, dont le tronc était traversé, en guise de bras, par une branche d’arbre mal écorcée qui se courbait, ainsi qu’un arc sous le poids du corps.
Cette branche semblait prête à se redresser et à lancer par pitié, loin de ce terroir d’outrages et de crimes, cette pauvre chair que maintenaient, vers le sol, les énormes clous qui trouaient les pieds.
Démanchés, presque arrachés des épaules, les bras du Christ paraissaient garrotés dans toute leur longueur par les courroies enroulées des muscles. L’aisselle éclamée craquait ; les mains grandes ouvertes brandissaient des doigts hagards qui bénissaient quand même, dans un geste confus de prières et de reproches ; les pectoraux tremblaient, beurrés par des sueurs ; le torse était rayé de cercles de douves par la cage divulguée des côtes ; les chairs gonflaient, salpêtrées et bleuies, persillées de morsures de puces, mouchetées comme de coups d’aiguilles, par les pointes des verges qui, brisées sous la peau, la lardaient encore, ça et là, d’échardes.
L’heure des sanies était venue ; la plaie fluviale du flanc ruisselait plus épaisse, inondait la hanche d’un sang pareil au jus foncé des mûres ; des sérosités rosâtres, des petits laits, des eaux semblables à des vins de Moselle gris, suintaient de la poitrine, trempaient le ventre au-dessous duquel ondulait le panneau bouillonné d’un linge ; puis, les genoux rapprochés de force heurtaient leurs rotules, et les jambes tordues s’évidaient jusques aux pieds qui, ramenés l’un sur l’autre, s’allongeaient, poussaient en pleine putréfaction, verdissaient dans les flots de sang. Ces pieds spongieux et caillés étaient horribles ; la chair bourgeonnait, remontait sur la tête du clou, et leurs doigts crispés contredisaient le geste implorant des mains, maudissaient, griffaient presque, avec la corne bleue de leurs ongles, l’ocre du sol, chargé de fer, pareil aux terres empourprées de la Thuringe.
Au-dessus de ce cadavre en éruption, la tête apparaissait, tumultueuse et énorme, cerclée d’une couronne désordonnée d’épines, elle pendait, exténuée, entrouvrait à peine un œil hâve où frissonnait encore un regard de douleur et d’effroi ; la face était monstrueuse, le front démantelé, les joues taries ; tous les traits renversés pleuraient, tandis que la bouche descellée riait avec sa mâchoire contractée par des secousses tétaniques, atroces.
Le supplice avait été épouvantable, l’agonie avait terrifié l’allégresse des bourreaux en fuite.»

Joris-Karl Huysmans, extrait de Là-bas.


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Envie d’aller plus loin ?

On dit le temps (extrait) ~ Valérie Brantôme

Entre ciel d’huile et tempête – Remettre la mort à son socle

D’un côté, le fil mourant de l’envie où rien ne fait plus cas. Parce que la seule question qui s’érige est celle d’une sève partie en lenteur à l’embouchure du néant.
Sans bruit, accueillir la chute. Attendre de la fosse, de l’irrespirable, un droit de parole accidentel.

De l’autre, ouvrir la part divisible, enfouie, thaumaturge, où la vie s’agrège. Cette autre main sereine, présente, bergère des eaux calmes, dissipatrice des heures incertaines. Signes de patience vers le messager blanc d’un printemps de neige.

Advienne enfin ce temps du combat
où l’on naît vainqueur de soi.

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• Un autre extrait ici : En baie d’Ailleurs sur Jardin d’Ombres