Marcel Martinet, ouvrant l’an.

.

Ce dont il me souvient
c’est du sombre besoin
qui me forçait alors à fuir, à fuir au loin,
c’est du besoin de solitude et de retraite
qui repoussait de moi l’humanité déserte.

Je ne pouvais plus, je ne pouvais plus rester parmi les hommes.
J’avais donné beaucoup, j’avais tout donné peut-être,
à qui, à qui et pour quoi avais-je donné tant d’amour ?
Nous traversions de ces sombres jours
où les hommes épuisés s’abandonnent.

Je ne doutais pas de leurs lendemains et de leurs réveils,
mais j’étais épuisé moi-même
et j’avais gagné mon droit à la solitude,
à quitter les hommes, leur terrible multitude,
à m’écarter d’eux pour pouvoir leur revenir,

et maintes choses vitales
moi aussi m’avaient quitté,
la disponibilité
de mon corps et de mon âme
et l’amour et l’amitié
s’éloignaient de mon passage.
Pour ne rien renier et pour ne pas trahir
comme il me fallait fuir !

Et c’est alors dans ma retraite
qui a duré beaucoup d’années,
que j’ai fait cette découverte,
la découverte d’un témoin
que  jamais je n’avais cherché.

Voyage, grand voyage !
Je ne rapporte rien
que cette feuille d’arbre,
la petite feuille de hêtre.

Marcel Martinet,  Une feuille de hêtre, Plein chant, 1978
(Chant du passager, suivi de Une feuille de hêtre)

Laisser un commentaire